Les cours à KTH

Une discussion avec Stan, l’autre jour, m’a (re)fait prendre conscience d’une différence assez importante de philosophie entre l’enseignement dans le supérieur en France, et dans les autres pays (je sais que c’est le cas pour les pays Scandinaves et le Royaume-Uni, et pour beaucoup d’autres pays).

En France, quand on va, disons, dans une école d’ingé, on a une liste de cours, que l’on doit faire. Il y a probablement des cours qui nous plaisent (sinon, on serait allé dans une autre école), mais il y a aussi probablement des cours qui ne nous intéressent pas, et dont on arrive pas à trouver l’utilité pour notre projet professionnel.

De plus, bien trop souvent, les cours sont là pour qu’on apprenne des choses (faire du SQL, concevoir tel ou tel type de solution, etc.). À la fin du projet, la finalité est nulle, on n’a rien produit, on ne peut rien montrer, à part parfois un programme d’exemple, qui, de toute évidence (en tout cas pour ce qu’on a fait), ne sert à rien. Alors certes, quand on veut apprendre le SOA ou autres matières assez théoriques, on peut difficilement repartir avec quelque chose à la fin, mais pour tout ce qui est réseaux, cours où on fait de la programmation, etc., il y a forcément moyen de rendre le truc intéressant, et de construire des choses pas inutiles. En 3e et 4e année, à la fin d’un projet, j’avais juste une pile de papier et quelque centaines des lignes de code inutiles. Inutile parce que d’une part, elle ne faisaient que répondre au sujet, et d’autre part, on avait bien trop peu de temps pour faire quelque chose de propre, recherché et potentiellement réutilisable.

À contrario, à KTH, la donne est inversée. Par exemple, en informatique (mon cas étant un peu différent parce que je suis en échange), j’ai pu prendre :

  • Sounds in interaction
  • Multimodal interaction design
  • Seminar in human computer interaction
  • Distributed computing
  • Audio technology

Tous ces cours (à part Distributed computing) sont des cours où l’informatique sert d’outil pour réaliser quelque chose. Ce quelque chose, la finalité, en soi, du cours, peut être diverse. Pour ma part, je choisis souvent de faire de l’art, parce que je fais vraiment trop peu de musique en ce moment, mais d’autres groupes de projets choisissent de répondre à un problème d’accessibilité (dans le cas de Sounds in interaction, aider les personnes malvoyantes à connaitre les valeurs de batterie, réseau, etc. d’un téléphone mobile, avec du son). Dans chacun de ces cours, j’ai acquis des choses qui seront utiles plus tard (un logiciel, un langage, une méthodologie). Dans chaque cours j’ai fait (ou je vais faire) un projet, où je pose le cahier des charges, je fais la conception, la réalisation, les tests, une vidéo, une slidedeck, une présentation, un rapport. Tout ça avec deux personnes, en 30 heures chacun, sans forcer. J’ai quelque chose de concret à la fin, que je peux montrer, mettre sur mon CV, parce que ça n’a rien de ridicule. On a eu le temps de peaufiner les détails, de faire plein de choix artistiques et techniques. À la fin, on a un projet qui marche clé en main. On a eu plusieurs réunion avec une personne dont le métier est de faire de la recherche dans ce domaine, qui nous a éclairé concernant les bon papiers à lire, en nous donnant des pistes vers lesquelles se diriger.

Chose surprenante, toujours en Sound in interaction, mes professeurs changeaient tout le temps. J’ai eu 7 intervenant, venant spécialement de 6 pays différents en tout, parce qu’il est important d’avoir les meilleurs spécialistes sur le sujet pour enseigner à 12 personnes, vous voyez ? Aussi, on m’a fait visiter pendant 3 heures la maison de la radio de Stockholm, on a pu poser des questions aux gens qui y bossent. Toujours dans le même cours, j’ai eu accès à une pléthore de matériel et de logiciels pour faire mon projet (bien que j’ai choisi un sujet qui ne nécessitait rien à part mon téléphone et mon ordinateur).

En Multimodal Interaction Design, pendant les cours, on me montre des vidéos de conception d’interaction novatrices, combinant interface tactile avec retour haptique, son, visualisation, dans un spectre très large d’application (médecine, art, augmentation de la productivité du poste de travail, jeux vidéo, etc.). En lab, on me donne un preliminary work, pendant lequel on doit apprendre Processing, et ou l’on doit uploder un programme qui montre qu’on a les bases avant d’être accepté dans le lab, pour éviter de perdre une heure à se demander comment on fait un sinus dans ce langage, et commencer direct dans le vif du sujet. Résultat, en deux heure, mon co-tp et moi avions un programme qui mappais les paramètre issu de fiducial tracking à du son.

En Seminar in human computer interaction, on me donne un papier de 15 pages toutes les deux semaines. Je dois préparer des questions, et un lundi sur deux, je rencontre un chercheur, qui, si il n’a pas lui-même écrit le papier, travaille dans le même domaine, et est capable de répondre à toutes nos questions (jusqu’à présent, en tout cas). Bon, je suis pas super fan de ce cours, avouons-le, mais clairement, il y a un engagement du corps enseignant, et il est d’excellente qualité.

En Audio Technology, les profs, déjà, recommandent un livre, plutôt que des slides pourris surchargés, et comme pour la partie « Surround audio system », il n’y a pas de bon livre sur le sujet, l’intervenant (qui vient de York chaque années depuis 10 ans), a écrit un papier de 100 pages sur le sujet. On va me dire qu’un livre, c’est cher, etc., mais il faut savoir qu’en Suède, chaque étudiant reçoit de l’argent de l’état pour acheter des livres. Personnellement, je pense que c’est beaucoup plus durable et intelligent que de faire perdre le temps au professeurs d’écrire de mauvais slides. Quoique les rare exemples de vrais polys qu’on a eu (en probas, et micromachine, notamment, j’en oublie peut-être) me font dire que certains professeur sont vraiment bons pour écrire des documents (ce qui, il parait, est normal pour un chercheur, ahem).

Un autre trucs absolument normal, mais qui n’existe pas en France (ou tout du moins pas en IF), c’est le fait que si la moindre personne ne parle pas suédois dans un cours, tout le cours passe en anglais. Ça m’est arrivé une fois, pour Seminar in human computer interaction, et ça semble naturel pour tout le monde. Je pense que vu le niveau des gens en anglais en France, ça serait pas du luxe. On fait de l’ingénierie, et qui plus est de l’informatique, il serait temps qu’on arrête d’entendre un dialogue du type :

— Tiens, va sur ce lien, y’a la doc.
— Ah, mais c’est en anglais, tu l’as pas en français ?

Qu’on ne se méprenne pas, je suis super conscient qu’il est important de faire des traductions de tout dans plein de langues pour promouvoir l’accès au savoir, mais on parle de futurs ingénieurs à Bac+3 minimum, là.

Il ne me semble pas que j’ai pu faire quelque chose comme ça ne serait-ce qu’une fois en IF, où l’on a toujours une méthodologie excessivement et inutilement rigide, des sujets trop classique et inintéressants, où l’on apprenait des choses complètement en dehors du temps (imprimantes à marguerites, anyone ?), à des niveau d’expertise complètement disproportionné (mais je suis heureux de savoir le protocole de détection d’erreur d’une obscure couche 2 du modèle OSI qui était utilisé il y a 20 ans, bien entendu). Pour moi, un ingénieur, c’est quelqu’un qui sait répondre à un truc concret, en utilisant un ensemble de technologies très large, qui connait sont sujet sur le bout des doigts, et qui sait en parler à des personnes non techniques verbalement et par écrit. Et personnellement, je ne pense pas vraiment avoir appris ça. Par contre, je suis super fort en LaTeX, maintenant.

Paul 28 October 2011